lundi 21 octobre 2013

Bernard Clavel et l’écriture

La conception de l'écriture selon Bernard Clavel, à travers six de ses articles publiés sur ce sujet :
Un écrivain à l’école : Œuvres complètes, tome III 
Le roman par le romancier : Texte paru dans la revue Europe en 1968 et Œuvres complètes, tome II
Écrire, c’est se vider de sa vie : Œuvres complètes, tome III
Miroir Œuvres complètes, tome III
Tout au début était le rêve  Œuvres complètes, tome III, pages 911-912, éditions Omnibus
Écrire et réécrire : Avant-propos à Les Colonnes du ciel et Œuvres complètes, tome IV

     <<<<<<  Lien avec  la seconde partie de Bernard Clavel et l'écriture
   
          

1- Un écrivain à l’école : Œuvres complètes, tome III

Pour un écrivain comme Bernard Clavel qui a quitté l’école à 14 ans, c’est un choc de découvrir un extrait d’une de ses œuvres dans un manuel scolaire. « L’une de mes premières joies d’écrivain » précise-t-il. L’école, ce sont pour lui des souvenirs plutôt désagréables et se retrouver dans une salle de classe avec son statut d’écrivain constitue une expérience inédite.
Une réconciliation en quelque sorte.

Mais il va entrer –à son corps défendant- dans un autre univers qu’il appelle celui des ‘intellectuels purs’. Pour lui, une autre planète. Et les martiens qui y vivent veulent décortiquer ses bouquins, les mettre à nu, les soumettre à une radioscopie en règle. Il nomme cette opération le ‘dépiautage’, comme on fait en Bresse pour séparer les grains des "panouilles" de maïs. Il déplore que cette pratique finisse par tuer l’émotion. Lui s’imagine le métier d’enseignant comme une aventure, un homme  qui regarderait le monde avec un œil d’enfant.

 

2- L’écriture : Miroir article de Bernard Clavel, Œuvres complètes, tome III, pages 967-973, Éditions Omnibus

Bernard Clavel avoue qu’il n’aime pas beaucoup son image, qu’il ne se soumet aux photographes que pour des raisons professionnelles. Il se penche sur son visage comme pour y déceler les stigmates de son passé, le souvenir de cette mère qu’il a tant aimée et qu’il a fait souffrir. Il voudrait y trouver  non la réalité mais un portrait idéalisé, gommer les témoins de « défaites lourdes à porter ».

Il le scrute ce visage à la façon du peintre qu’il a été, à l’époque où il tentait en vain de le dessiner, détruisant ses ébauches trop ressemblantes et « s’efforçant de peindre le visage idéal ». Il choisit finalement l’écriture car « le roman accorde des libertés que la toile blanche m’a toujours refusées ». Le réalisme de la photo l’agace, surtout si elle est réussie. Il craint ces résurgences du « démon qui est en lui », même s’il est seul à les voir. (écrit à Château-Chalon en juin 1972)
 
   

3- L’écriture : Écrire et réécrire 
Avant-propos à Les Colonnes du ciel, Œuvres complètes, tome IV, Éditions Omnibus

Á propos de la réédition de sa suite romanesque Les Colonnes du ciel, Bernard Clavel avec sa femme Josette Pratte, entreprend un travail de relecture des cinq tomes qui la composent. Á cette occasion, il pose la question de savoir si un auteur peut affirmer « qu’il vient de donner d’un roman une version définitive ». Il repense à son ami, l’écrivain Jean Reverzy, jamais satisfait, qui reprend inlassablement le manuscrit de Place des angoisses par exemple.

L’œil neuf’ qui porte un regard nouveau sur ses textes, c’est celui de sa femme qui lui signale longueurs et lourdeurs de style ; il reconnaît humblement qu’elle a raison « neuf fois sur dix ». Il n’est même pas sûr que cette version écrite en 1984 soit définitive, se souvenant de cette phrase d’Ernst Jünger : « Aussi longtemps que nous restons des apprentis, nous n’avons pas le droit de vieillir ».
 
 
Georges Semprun auteur de "L'écriture ou la vie"

4- Le roman par le romancier : réflexion sur l’écriture 
Texte paru dans la revue Europe en 1968
Œuvres complètes, tome II, pages 1186-1193, Éditions Omnibus

Pour Bernard Clavel, l’écrivain se trouve un jour ou l’autre confronté à l’évolution de son époque. Il ne peut guère rester neutre face aux crimes, aux injustices, à la misère… comme aux actes « de dévouement et de grandeur ». Ainsi, « lorsqu’on n’a pas un tempérament de bête soumise, comment ne pas s’engager ? »

Ses personnages, il les puise dans sa vie quotidienne, surtout ceux qu’il a connus dans sa jeunesse, des gens simples aux prises avec leurs problèmes, ce qui transparait dans le réalisme de ses romans.  Pour lui, le roman est basé sur une construction réfléchie, assez libre cependant pour laisser passer l’émotion. Son élaboration, ce n’est pas seulement les quelque deux mois nécessaires à son écriture, c’est aussi des mois, parfois plus,  pour réunir la documentation et avoir le recul qu’il faut pour que l’ensemble puisse mûrir et se structurer.

Les contingences et les évolutions techniques font que l’écrivain est souvent amené –comme il l’a été lui-même  – à être aussi journaliste ou à participer à des productions audio-visuelles. Ce n’est parfois qu’un pis-aller tant dans ce domaines les contraintes économiques priment sur le travail de l’artiste.

Pour lui, un personnage existe vraiment quand il le poursuit constamment sans qu’il ne puisse s’en débarrasser tant que le roman n’est pas terminé. Quant à l’intrigue, il y est très attaché tout en constatant que de plus en plus, il se tient près de son plan initial, sans pour cela espère-t-il, ''brimer'' ses personnages.

Sa façon d’écrire, son style sont le fruit d’un long apprentissage, « en quelques années, écrit-il, j’ai empli une énorme malle de vers… qui ont servi à allumer le feu… » Il espère simplement avoir instillé un peu de poésie dans sa prose et tient la clarté pour qualité essentielle à travers ces deux citations qu’il a choisies :
-          « Il y a un minimum de clarté qui est une forme de politesse. » (Roger Martin du Gard)
-          « La clarté est la politesse de l’homme de lettres. »  (Jules Renard)

    

5- Tout au début était le rêve
Œuvres complètes, tome III, pages 911-912, Éditions Omnibus

Dans ce court article, Bernard Clavel part à la recherche d’un temps perdu et du mystère de la création. Il récuse la génération spontanée de l’inspiration, trop commode et trop romantique. Aussi loin qu’il remonte dans son passé, il y voit surtout des leçons de vie, la dure réalité de ses années d’apprentissage, de la guerre et des petits boulots. Et par-dessus tout, l’image récurrente de sa mère et celles d’une prime jeunesse rêveuse : « Tout au début était le rêve… »

Puis il y eut ses liens avec le Rhône, la fascination qu’il exerça sur lui, véritable histoire d’amour, même après que les hommes avides d’argent l’eurent mutilé. Pour lui, le métier d’écrivain, né sur les bords du Rhône dans les "lônes" de Vernaison, est un sacerdoce, une série de sacrifices dont il connaît trop bien le prix, ce partage impossible entre son œuvre et les autres. Depuis le temps, il en a pris son parti, la vie est ainsi faite, mais il sent encore et à jamais l’eau du fleuve couler dans ses veines.
« Tout au début était le rêve… »



6- Écrire, c’est se vider de sa vie : réflexion sur l’écriture
Œuvres complètes, tome III, pages 901-909, Éditions Omnibus

Pour aborder la question de la création, Bernard Clavel traite du langage comme d’un matériau, dans un mur à construire, chaque pierre doit être à sa place. Mais c’es surtout l’implication de l’écrivain  qui importe : pour lui, « écrire, c’est se vider de sa vie. C’est perdre sa sève, c’est s’appauvrir sans cesse et sans jamais aucune certitude que ce que nous donnons profitera à l’autre ».
L’œuvre est ce mélange de sentiments véhiculés par des mots qui doivent moduler la phrase pour restituer l’émotion dans toute sa dimension. Ainsi, c’est par le partage que l’écrivain peut échapper à sa solitude. Écrire, c’est aussi se survivre même si l’espoir est mince. Le maître mot du style, c’est la CLARTÉ, comme l’ont dit Jules Renard et Roger Martin du Gard.

Bernard Clavel a toujours admiré ceux qui ont le bonheur de créer de leurs mains et se considère lui-même comme un artisan. Il faut aimer pour bien créer, aimer les mots car disait Anatole France, « on n’est  écrivain qu’à ce prix ». Le travail d’écrivain est pour lui moins ingrat que celui de peintre qui doit tout exprimer, « tout dire en un instant », car « la peinture est l’art du coup de poing au creux de l’estomac » ajoute-t-il.

Malgré tout, l’écrivain doit apprivoiser les mots, les traquer dans des dictionnaires et Bernard Clavel se souvient de son premier roman aujourd’hui détruit où il mit six mois pour le relire et chercher les mots exacts, ceux qui traduisaient le mieux sa pensée. Les mots qu’on s’approprie sont comme un immense réservoir où on peut puiser à loisir et où on peut aussi en rajouter. Car, conclut Clavel, « l’aventure est au cœur de chaque mot comme elle est au cœur de l’homme ».

          
Texte de Régine Bouché 
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