dimanche 13 octobre 2013

Bernard Clavel ou La géographie sentimentale

Référence : Bernard Clavel ou La géographie sentimentale – Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne – 92 pages, 1985, isbn 2-88888-022-9

 

"La géographie sentimentale", cette expression d’Alexandre Arnoux, Bernard Clavel la revendique pour qualifier son itinéraire. « Je crois que rien dans la nature n’est autant qu’un fleuve semblable à l’homme » dit-il en préambule. Sa géographie n’est pas seulement faite de paysages franc-comtois ou de l’Abitibi mais de souvenirs, de visages, de rires et de larmes que son œil bleu veut retenir. « La vie est une succession de moments-lieux et c’est leur chaîne que constitue ma géographie sentimentale. [1]

Sommaire

  • 1 L’éternel apprenti
  • 2 Premiers chemins, premières leçons
  • 3 Le maître fleuve
  • 4 Terres de parole, terres d’amitié
  • 5 Entre Jura, Vaud et Québec

  1- L’éternel apprenti

C’est ainsi qu’il se qualifie lui-même car il apprend tous les jours et pour l’écrivain rien n’est jamais définitif. Sa géographie est un ensemble qu’on peut suivre à travers son œuvre et rien ne l’énerve plus que cette tendance à classifier, à en faire un écrivain "régional" ou "populiste". Parmi les citations qu’il conserve dans son bureau, il choisit celle-ci, d’Ernst Jünger : « Aussi longtemps que nous restons des apprentis, nous n’avons pas le droit de vieillir. » [2]

2- Premiers chemins, premières leçons

Son itinéraire sourd de ses romans à forte tendance autobiographique. On peut suivre son adolescence dans "La Grande patience" entre 1937 et 1946, un fait divers à l’origine de "Malataverne", sa rencontre avec Ted Robert, le Kid Léon qui sera "L’Hercule sur la place" ou les vendanges avec Jacinto Perez, celui qui deviendra Pablo Sanchez, "L’Espagnol". On y retrouve d’abord une photo de sa mère « prise à Dole dans l’étroite rue d’Enfer » [3] et une photo de son père en militaire, lui qui « dans toute sa vie n’avait eu de bon que ses deux années de service militaire. » [4]

3- Le maître fleuve

« Je serais un auteur bien ingrat de ne pas dire ici que je dois au Rhône d’avoir écrit. » [5] C’est à l’initiative de son ami le peintre Delbosco qu’au sortir de la guerre, il s’installe à Vernaison, ne cessant de peindre le Rhône et se berges. « Durant des années, j’ai réellement fait corps avec ce fleuve. » [6] Sa rencontre avec Delbosco sera capitale, il dira qu’il fut pour lui une espèce de père spirituel. De leur rencontre, il écrit : « Au fond, c’est ce jour-là que je suis entré de plain-pied dans le domaine de la poésie. (Écrit sur la neige, page 22-24) De la peinture, il aura cette réflexion : « Je tiens la peinture pour le plus ingrat et le plus difficile des arts. » [7]
 
Á Vernaison, il se souvient de Paul Beaupoux, l’infirmier des sauveteurs, -comme le héros du Tambour du bief- qui l’initie au Rhône, à ses berges (ses lônes et ses vorgines) et sera ainsi à la source du roman "Pirates du Rhône". Il a souvent rendu hommage à ceux qui l’ont aidé, qui ont cru en lui comme Michèle Esday, sa "première lectrice", qui remarquait l’influence de Giono dont « je n’avais jamais lu une ligne. » [8], comme l’écrivain Jean Reverzy dont « le souvenir ne s’est jamais éloigné de moi. », [9] ou comme Armand Lanoux, « ce colporteur d’images, de poèmes et de chansons. » [10]
 
L’obtention du prix Goncourt fut l’objet d’une polémique dont Bernard Pivot se fait l’écho dans Le Figaro littéraire de novembre 1968, écrivant que le jury serait bien inspiré d’ignorer les autres prix décernés « surtout si justement leurs choix sont faits pour contrarier le sien. » Pour Pivot, cette rage d’écrire qu’il a tient au fait « qu’il a toujours été animé… par un formidable besoin de témoigner contre l’injustice. »

4- Terres de parole, terres d’amitié

L’amitié, c’est celle de l’écrivain Jules Roy qui le dépeint ainsi : « Il sait cuire son pain, il noue des amitiés avec le vent et les étoiles, mais c’est le commerce des humbles qui l’inspire, de ceux qui fabriquent l’histoire et la vie, plutôt que de ceux qui la commandent. »
L’amitié, c’est Louis Lecoin, « si le mot lumière me vient à propos de Lecoin, c’est ce petit homme chétif, à demi aveugle, irradiait littéralement. » [11], c’est le "frère ennemi" Hans Balzer entrevu à Carcassonne en 1942 et revu par hasard à Berlin en 1965, « dire qu’il se trouvait parmi les Allemands qui auraient pu me déporter ou me fusiller. » [12] C’est Roland Dorgelès dont il fait l’éloge à Arcachon lors d’une inauguration, c’est Pierre mac Orlan dont il dit « alors que nous l’imaginions cloîtré à Saint-Cyr-sur-Morin, il continuait d’habiter le voyage. » [13]
 
C’est avec Georges Brassens une amitié qui vient à son heure entre deux timides, « c’est André Tillieu, un ami belge (et biographe de Brassens) qui nous a réunis. ». Il dit du style de Brassens que c’est comme « une fresque dont la matière multiple est souvent torturée, grattée, fouillée… où la douceur du lavis voisine avec la griffure d’un burin rageur. » [14]
 
L’amitié avec Michel Ragon c'est, outre cette image d’écrivain populaire et autodidacte qui les réunis, c’est ce sentiment que Clavel est « un homme libre, défendant la liberté, la justice, la fraternité, la paix. » On trouve ce pacifisme et cette obsession de la guerre que Ragon trouve surtout dans les cinq volumes de Les Colonnes du ciel. « De La Saison des loups aux Compagnons du Nouveau-Monde, ils forment… un gigantesque roman de 1824 pages dont la rédaction s’est poursuivie pendant plus de six années ! »

5- Entre Jura, Vaud et Québec

Après les quatre années passées à Château-Chalon, « où j’ai retrouvé ma terre » écrit-il dans la préface à Pirates du Rhône (édition 1971), s’ouvre à partir de 1977, quand il quitte Villeneuve-sur- Yonne, une longue période d’errance dominée par deux lieux privilégiés, le Jura qu’il soit français ou suisse et le Québec. Le Jura, c’est le lieu d’une errance, celle de ses héros de "Les Colonnes du ciel" qu’il va bientôt terminer avant d’entreprendre son épopée québécoise "Le Royaume du Nord".

Le Jura sera essentiellement Villers-le-lac dans le Doubs et Morges en Suisse sur les bords du Léman, avec des séjours dans des villages de la région comme Belfontaine et Reverolle. Le Québec, c’est avant tout Josette Pratte, « l’essentiel de ma vie avant l’écriture : j’ai une femme que j’aime et qui m’aime, » écrit-il dans sa préface à sa "géographie sentimentale". « La maison de bois était nue au milieu de la plaine, à mi-distance entre les glaces du Saint-Laurent et celle de la rivière des Outaouais, » écrit-il dans "Terres de Mémoire" à propos de Saint-Télesphore.
Son ami Jacques Peuchmaurd dira : « On ne parle pas aisément des êtres qui ont beaucoup compté dans sa vie : une amitié c’est comme un amour. » Une affaire intime

Notes et références

  1. Terres de mémoire, page 45
  2. Bernard Clavel, Morges, juin 1984
  3. Terres de mémoire, page 13
  4. Les Fruits de l’hiver, page 53
  5. Le Rhône ou les métamorphoses d’un Dieu, page 48
  6. Écrit sur la neige
  7. Célébration du bois, page 21
  8. Écrit sur la neige page 197
  9. Écrit sur la neige page 256-57
  10. Article de Clavel dans Le Progrès du 19/12/1963
  11. Écrit sur la neige, page 121
  12. Écrit sur la neige, pages 147-148
  13. Terres de mémoire, pages 68-69
  14. L’œuvre poétique de Brassens, préface de Bernard Clavel
                <<< Christian Broussas, Carnon-Mauguio, Octobre 2013 © • cjb • © >>> 

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