BERNARD CLAVEL : Biographie de Marie-Claire de Coninck

Référence : Marie-Claire de Coninck, "Bernard Clavel", éditions Pierre de Méyère, collections Portraits, postface interview de Bernard Clavel, 1991



« Il n’y a pas de grandeur sans un peu d’entêtement. » Albert Camus
« Pour moi, le combat qui me paraît essentiel, c'est celui que l'homme doit mener pour la paix, pour la lutte contre l'oppression quelle qu'elle soit. Contre la corruption de l'argent»
(Réponse à Marie-Claire de Coninck )

Sommaire
  • 1 Esquisse pour un portrait
  • 2 Avec l’intelligence du cœur
  • 3 Comme le chant d’une vague
  • 4 Un art… une loyauté
1- Esquisse pour un portrait

 Bernard Clavel, écrivain populaire ou populiste, anti-intellectuel aussi laisse-t-on parfois entendre. Populiste, il s’en défend, le prend plutôt comme un compliment et n’aime pas beaucoup il est vrai les intellectuels, « je me moque éperdument des intellectuels dont le commerce m’ennuie souverainement » répond-il dans une interview. Quant à l’adjectif "populaire", péjoratif dans la bouche des intellectuels, il s’assume et le revendique, mille fois "oui" s’il s’agit d’écrire pour le plus grand nombre, s’adresser au peuple et, quelle horreur pour certains, connaître le succès, le vrai, pas seulement un succès d’estime. Voilà qui laisse augurer des relations tendues qui vont prendre toute leur ampleur quand il recevra le prix Goncourt.

Le peintre des débuts, a finalement choisi la littérature parce que écrit-il « je pensais pouvoir m’exprimer plus complètement ainsi et m’approcher d’avantage de l’homme. » [1] Il y a du Claude Monnet chez cet homme qui va inlassablement cherché sur les rives des galets du Rhône à Vernaison, à traduire dans sa peinture les milliers de reflets de cette eau qui le fascine, changeant au gré des heures et du temps, impossibles à capter. Finalement, la pâte humaine l’intéresse davantage, ses personnages en apparence si simples mais en fait si complexes et portés par des sentiments si contradictions, ses frères, ses jumeaux parfois si près de lui, de ses désirs et de ses doutes ; Il ajoutera ces mots à sa profession de foi : « Également m’engager aux côtés de l’homme qui lutte pour sa liberté et pour la paix. » [2] "L’homme", "la paix","s’engager", simplement, les mots-clés sont lâchés, il leur donnera toujours leur sens le plus élevé, le plus noble jusque dans son dernier texte où il dénonce les terribles méfaits de l’arme atomique. [3]
 
Bernard Clavel conçoit son travail d’écrivain comme un métier d’artisan, un homme parmi les hommes, élevant ses trois enfants et s’installant à Chelles dans la région parisienne en 1964 pour mieux « gagner sa vie. » C’est ainsi qu’il conçoit ses personnages, entiers, prenant la vie à grandes brassées, mais souvent dominées par les événements. La vie abîme souvent ses personnages mais la vie réelle de l’Espagnol qu’il eut l’occasion de rencontrer bien après la sortie de son livre, fut pire que celle de son héros. Sa langue est simple dit-on parfois avec dérision, mais il considère que c’est le plus bel hommage qu’on puisse lui rendre, atteindre à la simplicité, c’est épurer, aller vers une concision qui donne au texte tout son sens. C’est ainsi qu’il parvient à dépasser la dichotomie classique entre le fond et la forme.

   Clavel & sa femme Josette Pratte

2- Avec l’intelligence du cœur

C’est dans une interview à propos de son roman "Celui qui voulait voir la mer" qu’on trouve son positionnement par rapport à l’écriture, « ce livre est un roman, c’est-à-dire une histoire imaginaire mais j’ai essayé que les sentiments soient vrais. » Le zoom cible ses personnages, leurs luttes, leurs réactions face aux situations de leur vie quotidienne. C’est plus les ressorts intimes de la pâte humaine qui intéressent Bernard Clavel, que la trame narrative de ses romans.
Idée essentielle qu’on retrouve dans cette réflexion tirée de sa biographie de Léonard de Vinci : « Ce qui place des écrivains comme Molière ou Balzac au-dessus des autres, c’est qu’ils ont su créer des types en modelant des personnages qui demeurent pourtant des hommes. » Équilibre instable dont seuls les grands écrivains parviennent à atteindre un point d’orgue.

Ses personnages même s’ils sont malmenés par la vie, poursuivent sans relâche leur chemin. Ce qui en fait leur modernité, c’est leur ouverture sur le monde, ils savent prendre des risques pour se réaliser, pour atteindre leurs objectifs, souvent dominés par leurs coups de cœur, compatissant envers les plus faibles. Même les plus dures moments, ils restent indéfectiblement liés à leurs amis, à leur entourage et, comme Pablo envers la jeune déshéritée Jeannette ou Gilbert envers son ami le vieux pasteur, après la mort de sa bienaimée, retrouvent dans l’amitié cette partielle d’humanité qui guide leur vie.

Ce qui l’intéresse, c’est la flamme intérieure d’un être qui lui donne son caractère unique, la passion parfois poussée à son paroxysme, à son ultime dénouement comme la lutte sans espoir du "seigneur du fleuve" Philibert Merlin l’essor inéluctable du bateau à vapeur, contre les forces sauvages du fleuve et de ses terribles crues, un peu à la manière d’un Hermann Melville et la lutte du capitaine Achab contre Moby Dick. [4]
Ces hommes sont des aventuriers de leur époque, autant centrés sur leur passion que tournés vers les autres car « l’aventure est partout, offerte à tous, elle a mille visages, mille formes, mille aspects. » [5] Il précise sa pensée, écrit dans "Célébration du bois," « On est vraiment ce que l’on désire être. » Lui-même est aussi à sa façon un aventurier, pèlerin de la littérature avec, non pas son bâton à la main, mais son stylo, vagabond du monde se sentant partout chez lui, emportant dans sa tête son terroir, plein d’images à jamais serties dans sa mémoire, mais toujours insatisfait, à la recherche d’un ailleurs. Toujours ouvert aux autres également, n’hésitant pas à s’engager pour la paix, luttant contre la violence faite aux enfants car « on n’a pas le droit d’oublier qu’il y a toujours quelque part un endroit où on assassine un enfant. » [6]

   
Clavel dans le Jura

« Quand s'éteindront certaines querelles de coteries, certaines réputations nées à grands coups de publicité adroite et qu'on fera le compte des romanciers les plus marquants de notre temps, il est certain que Clavel occupera une place privilégiée. »


3- Comme le chant d’une vague

Parler de littérature, évoquer un grand écrivain suppose une certaine idée du rôle de l’écriture, de la puissance de son style, de son imagination, et repose sur cette substance de sa propre vie qu’il est capable de projeter dans son œuvre. Pour lui, « le génie est l’équilibre parfait entre le mental et l’émotionnel. Une émotion, c’est déjà beaucoup, c’est en tout cas suffisant pour que naisse un chef-d’œuvre si elle touche un artiste assez doué pour l’exprimer pleinement. »

Derrière l’histoire d’un homme, d’une famille, d’un groupe se profile dans ses romans sa colère [7] pour la violence qui contraint Pablo l’Espagnol à l’exil, le jeune Robert pris dans les filets de Malataverne à une réaction qui le conduira en prison, le jeune Julien Dubois jeté dans la guerre, balloté entre l’armée de l’armistice et la Résistance, hanté par le souvenir de la torture. Cette colère l’aide aussi à dénoncer des formes de violence sociale, celle qui jette Marie-Louise, l’apprentie-coiffeuse, sur le trottoir et désespère Quantin son père, qui oblige Gilbert et Les Pirates du Rhône à l’exil, causant la mort de Marthe sa fiancée ou, pour prendre un exemple plus collectif, qui contraint les canuts lyonnais à se révolter contre leurs conditions de travail dans "La Révolte à deux sous". Un thème si récurrent qu’on pourrait citer maints autres exemples à travers son œuvre et qu’il inervera encore ses derniers écrits.

On trouve ainsi dans ses écrits maintes références à la guerre et beaucoup de ses romans y font allusion où sont carrément centrés sur une période de guerre, guerres du passé, guerres mondiales ou guerres modernes. Il n’avait que l’embarras du choix. Dans sa grande fresque "Les Colonnes du ciel" dans une guerre terrible où les armées de Louis XIV ramèneront sans pitié la Franche-Comté dans le giron français, il décrit la longue marche, le long exil de ces populations déracinées obligées de quitter leurs villages de la forêt doloise pour partir dans une dure errance pour découvrir enfin sur les rives du lac Léman "la lumière du lac". [8] Une saga qui lui tient tant à cœur, lui le Franc-Comtois qui souffrent autant que ses personnages dont certains poursuivront leur aventure jusqu’au Québec, [9] réalisant ainsi le lien avec sa grande saga sur les pionniers du Québec "Le Royaume du nord".

Toutes les époques lui sont bonnes pour dénoncer la guerre et ses atrocités, de l’époque antique jusqu’à la guerre d’Algérie. "Le Cavalier du Baïkal," ce guerrier venu des steppes asiatiques, nous projette dans la guerre des Gaules, la soif de pouvoir de Jules César, et "Brutus" qui se déroule au siècle suivant au temps de l’empereur Marc-Aurèle, nous mène le long du Rhône entre Lugdunum le Lyon antique, et la Camargue, dans le monde romain de l’intolérance traquant et persécutant les chrétiens. Il nous projette aussi dans l’épopée napoléonienne, pendant les Cent-Jours en 1815 où la guerre civile qui oppose bonapartistes et royalistes, va venir percuter de pauvres bateliers aux prises avec une terrible crue du Rhône près du gros rocher de "La Table du roi" du côté de Valence.

Beaucoup de ses romans sont centrés sur l’histoire de gens simples, l’absurdité de la guerre et de la violence qui jettent les individus les uns contre les autres, comme si l’amour de la vie avait cédé la place à la haine. Les guerres contemporaines sont présentes, de façon parfois détournée dans "Les Roses de Verdun" par exemple, l’histoire d’un homme qui entreprend un long voyage des rives du Rhône jusqu’à Verdun pour rendre hommage à ce fils mort du côté de Verdun, mort comme beaucoup d jeunes de son âge et qu’il avait voulu préserver, malgré lui. Outre les trois derniers volumes de "La Grande patience" fortement autobiographiques et centrés sur la seconde guerre mondiale, au temps de sa jeunesse, Bernard Clavel nous entraîne dans les aléas de la Libération, dénonce les morts inutiles des dernières semaines de la guerre dans cette région, décrit la peur et les représailles dans ces villages au-dessus de Lons-le-Saunier qu’il connaît si bien, le dilemme de ces familles écartelées entre plusieurs pays et ennemies malgré elles comme ces "malgré eux" alsaciens face à un choix impossible. [10]

Riter, l’ami de Julien Dubois, rappelle à propos d’un de ses officiers, que pour Balzac, « la gloire est le soleil des morts, » expression que reprendra Bernard Clavel comme titre d’un roman en hommage à son oncle Charles Mour [11]où il s’interroge sur les ressorts de la haine et du sentiment de revanche et de leur récurrence chez les "braves gens" du peuple. [12] Bernard Clavel aime "la belle ouvrage", non seulement il ne s’en est jamais caché mais il l’a souvent clamé et son œuvre en est imprégnée. On en trouve maintes illustrations, par exemple dans cette interview où il dit : « J’aime la matière, c’est ce que je regrette le plus dans la peinture. Le papier, l’encre, tout cela m’est nécessaire. […] J’aime les outils, je les collectionne, et pour moi un stylo est un outil auquel la main s’habitue. On s’y attache, on l’aime très vite. Il fait amitié avec la main» [13] C’est l’amour pour ce monde de travailleurs manuels, paysans et ouvriers, qu’on peut juger désuet par certains côtés, qu’on lui a parfois reproché, avec ce qu’il contient de péjoratif pour le travail manuel. Son côté retro tient sans doute aussi à son appétence pour la nature, son goût marqué pour la campagne, la montagne et le froid, [14] ce peu d’attrait pour la ville qu’il décrit sans aménité dans Le Voyage du père où la neige lyonnaise est sale et poisseuse, deux univers qu’il oppose dans L’Homme du Labrador entre les fascinantes étendues glacées du Labrador et les tristes vieux quartiers de Lyon.

Son humanisme –et sa propre expérience- l’amène à évoquer les liens qui se tissent peu à peu entre les ouvriers, la solidarité qui en est le ciment et qui permet de résister à l’oppression d’un patron comme Julien Dubois dans La Maison des autres ou de revendiquer un minimum de dignité, le juste prix de leur labeur comme les canuts, ces ouvriers de la soie lyonnaise dans La Révolte à deux sous. L’oncle de Julien, syndicaliste convaincu, le met en garde contre tout paternalisme pernicieux, le prévenant « qu’il est impossible d’être copain avec un patron sans finir par être sa victime. » Ces hommes n’en exercent pas moins des métiers difficiles qui rendent les mains rugueuses et la peau hâlée, durs à la tâche, qui par exemple dirigent leurs embarcations dans les flots tumultueux du Rhône [15] ou qui, comme Bernard Clavel dans sa jeunesse a bûcheronné et vendangé du côté de Château-Chalon dans le Revermont jurassien et connaît le prix de la sueur. La nature est belle mais pas toujours magnanime envers les hommes.

Ces personnages qu’il choisit comme archétypes appartiennent à sa vie, ce sont souvent des gagneurs, des "self-made-men" qui savent ce qu’ils veulent même si finalement ils échouent comme Le Seigneur du fleuve, « tout remonte à mon enfance et à mon adolescence, tout vient de mon expérience » confie-t-il dans une interview. »

  
Conférence à Courmangoux

4- Un art… une loyauté

Au fil de ses ouvrages, Bernard Clavel brosse un saisissant tableau de SA "comédie humaine", des personnages qui se distinguent plus par leur humanisme que par leur force physique, même si la plupart sont des costauds au cœur tendre comme la terrible Félicienne Marquand de La Guinguette qui ira avec une détermination sans faille jusqu’au bout de sa vengeance contre l’assassin de son fils, qu’elle entraînera dans la mort.
Les personnages secondaires possèdent également leur épaisseur, aussi importants que les "héros" au point qu’il soit difficile de savoir par exemple qui de l’Hercule ou de Pierre est le personnage principal du roman. Au-delà de la densité de tel ou tel personnage, et Bernard Clavel l’a évoqué à plusieurs reprises en parlant de "ses terroirs", [16] ses lieux de mémoire privilégiés sont pour lui des centres de gravité où s’enracinent personnages et narration.
Ses deux terroirs privilégiés, outre l’époque canadienne du Royaume du Nord, sont sa Franche-Comté natale ainsi que Lyon et la vallée du Rhône où il a longtemps séjourné. Si l’on prend ses sept derniers romans, trois se passent en Franche-Comté et quatre dans la vallée du Rhône.  [17] Le personnage principal peut même être virtuel comme la Marie-Louise du Voyage du père, omniprésente dans le roman et que pourtant on ne verra jamais. Omniprésente dans les pensées qui assaillent son père Quantin, le désarroi qui peu à peu l’envahit à mesure qu’il pressent et découvre la réalité, la façon dont vit sa fille, dans le souci que se font sa mère Isabelle et sa sœur cadette.

Ses descriptions retentissent des sentiments de ses personnages, la révolte des canuts fait écho à la révolte du Rhône en crue qui dévaste la presqu’île lyonnaise et engloutit Pataro dans La Révolte à deux sous, de la peur et du désespoir de l’équipage du Gabbiano dans "Cargo pour l’enfer", abandonné de tous avec sa cargaison infecte et létale.

Il joue sur les éléments qui peuvent structurer le récit, donner une cohésion en reliant les personnages à leur environnement, en créant une atmosphère propice à l’émergence d’images, comme dans "L’Espagnol" la rencontre, la confrontation entre la nuit intérieure confinée entre les murs de la pièce et la nuit du dehors plus froide, qui se frottaient et se cognaient , symbolisant à elles seules tout un monde. L’épaisseur même des silences devient sensible, des vibrations de l’air qui sont une présence et qui rappelle le climat de "L’Ami Pierre", ce vieux paysan qui possède « son gros poids d’humanité sonore et colorée », [18] nous transporte dans sa maison de Saint-Télesphore au Québec où il écrit dans la sérénité du grand nord. [19] A moins que ce ne soit au lac de Bonlieu où les nymphes « vont s’rendormir dans leur douceur glacée. » Quand, dans cet univers hivernal « la terre craque, la glace geint… peut-être est-ce les nymphes qui se lamentent. »[20]
Ses personnages sont centrés sur l’essentiel, ce qui les distingue, en fait leur spécificité comme ce vieux bûcheron « la tête rentrée dans les épaules, le corps légèrement voûté et les genoux fléchis, il avait l’air d’un tronc très court et ébréché » Il rappelle le père Vincendon, un ancien luthier, un voisin de Lons-le-Saunier et grand ami de son père chez qui, enfant, il allait souvent s’initier au travail du bois, passion qui le suivra toujours. [21] Dans "Célébration du bois", il le présente avec « des mains énormes et déformées, des articulations boursoufflées, des crevasses et des taches partout et enfin, des bouts de doigts larges et plats comme des spatules. » Bernard Clavel avait conservé pieusement du père Vincendon son bureau, son coffre et sa boîte de peinture car « elle avait été faite avec amour, comme tout ce que faisait Vincendon. »
Il campe aussi par exemple en quelques mots l’expression du père Normand, le vieux passeur du Rhône, qu’il a bien connu dans sa jeunesse à l’époque de Vernaison, quand il se lève et que « son genou craque comme un jonc desséché qu’on écrase du pied », ces joncs et ces buissons qui peuplent les lônes, ces trous d’eau qui longent les berges du Rhône en aval de Lyon.

Il traduit les traits les plus singuliers à petites touches qu’il distille peu à peu. « Kid ne montrait plus que sa nuque rasée, ses oreilles toutes déformées comme grignotées par les rats, son dos et ses épaules où les muscles en boule paraissaient sur le point de faire éclater sa peau. » Son souci est similaire pour les paysages et les objets comme ceux d’André, le chef de Julien Dubois dans La maison des autres, son couteau-spatule « dont l’acier vibre et émet un son grave à peine perceptible », ou ceux de l’atelier du père Vincendon plein d’établis, de presses, de serre-joints, de rayons « où s’alignaient des séries de rabots de toute longueur et de tous profils… trusquin, petits-guillaume, scie à chantourner, à araser. » [22]

Le peintre qu’il a été transparaît dans sa manière d’aborder les descriptions, de souvent lier les événements et le caractère de ses personnages avec les univers dans lesquels ils évoluent. Les rues de Lyon qu’arpente Quantin à la recherche de sa fille, sont aussi tristes que lui, le caractère de Merlin, le Seigneur du fleuve, est aussi bouillonnant que le Rhône en crue, Jacques Fortier le caporal en permission dans le Jura, est en proie à une révolte dévastatrice comme les éléments qui se déchaînent  sur le village et la forêt. «  » écrit sa biographe Marie-Claire de Coninck. [23]

Evoquant son style, elle parle de sa capacité de décrire les subtiles variations de la lumière, la douceur moutonneuse d’une plaine ou le tumulte des éléments, « il marque en peintre les détails frappants, les couleurs qui donnent sa valeur à un paysage. » Comme cette nuit que contemple Gilbert de Pirates du Rhône où, écrit Bernard Clavel « les rouges deviennent noires, les jaunes s’éteignent, tournent au vert pâle… une nuit pleine de clarté. Toute la lumière venait de l’eau qui sait guider longtemps après le crépuscule, la couleur tendre des ciels de printemps. »

Notes et références
[1] Extrait de son interview dans Magazin de Bucarest, novembre 1966
[2] « Il existe aussi des raisons d’ordre purement artistique » exposées dans son album "Célébration du bois", précise-t-il dans une interview
[3] Voir ses deux derniers textes, le roman "Les grands malheurs" et sa préface "La peur et la honte" à l’ouvrage de Nakazawa Keiji "J’avais 6 ans à Hiroshima. Le 6 août 1945 8h15 "
[4] Référence à Hermann Melville
[5] Interview dans Liberté de mars 1967
[6] Voir "Jeunes frères ennemis", revue Europe, novembre 1965
[7] Voir "Un homme en colère", Maryse Vuillermet, 2003
[8] Titre du deuxième tome de la série Les Colonnes du ciel
[9] Dans le dernier tome de la série, intitulé "Les Compagnons du Nouveau monde"
[10] Voir le récit-témoignage "Marthe et Mathilde", Pascale Hugues, éditions Les Arènes, 305 pages, 2009
[11] L’oncle Charles Mour, capitaine, combattra dans les deux guerres mondiales et dans les bataillons d’Afrique.
[12] Bernard Clavel se réfère à une citation de Romain Rolland, qu’il admirait particulièrement : « Ce sont les "braves gens" qui font l’éternité des fléaux criminels dont l’humanité est martyrisée : ils les sanctifient par leur acceptation héroïque. » C’est là tout le thème de son roman "Le Soleil des morts".
[13] Interview à Magazin de Bucarest, novembre 1966
[14] Sur le thème de son attirance pour le froid, pour les paysages du Haut-Doubs ou du Canada, on peut citer Terres de mémoire et son album intitulé simplement L’Hiver
[15] Patrons de bateaux, nautoniers qu’on retrouve dans les trois romans suivants : "Le Seigneur du fleuve", "Brutus" et "La Table du roi".
[16] Voir en particulier "Terres de mémoire", éditions Jean-Pierre Delarge, 1981 ou "Bernard Clavel, qui êtes-vous ?, série d’interviews d’Adeline Rivard"
[17] Pour la Franche-Comté, "Le soleil des morts" (1998), "La retraite aux flambeaux" (2002), "Les grands malheurs (2005)". Pour la vallée du Rhône, "La guinguette" (1997), "Le cavalier du Baïkal", (2000), "Brutus" (2001), "La table du roi" (2004)
[18]Voir son récit-album "L’Ami Pierre", éditions Duculot, 1978
[19] Là, avec l’impression d’être coupé du monde, il notera : « Écriture dans la pièce qui fait penser au bureau de Tolstoï. Silence total. »
[20] Récit-album "Bonlieu ou le silence des nymphes", éditions Robert Dufour
[21] Outre "Célébration du bois", on retrouve le père Vincendon dans la nouvelle "Le père Vincendon" incluse dans le recueil "L’espion aux yeux verts" et dans l’album "L’arbre qui chante".
[22] cf "Célébration du bois", opus cité
[23] Marie-Claire de Coninck, "Portrait de Bernard Clavel", éditions Pierre de Méyère, page 70

<<< Christian Broussas, Carnon-Mauguio, Octobre 2013 © • cjb • © >>>