mercredi 15 octobre 2014

Terres de Mémoire Le Jura

Référence : ''Terres de Mémoire – Le Jura'' de Bernard Clavel - Bernard Clavel – témoignage de Georges Renoy – photographies de Jean-Marie Currien – éditions Jean-Pierre Delarge, 1981 – isbn 2-7113-0202-4  - 223 pages

Bernard Clavel : la mémoire nue  ---- Georges Renoy : Clavel-de-nulle-part, récit, itinéraire biographique
Jean-Marie Curien : photographies  ----  Conception : Emmanuel Mentzel

              Son dernier roman        
 
Terres de mémoire est un récit biographique écrit par l’écrivain Bernard Clavel en collaboration avec Georges Renoy sur ce qu’il appelle lui-même sa « géographie personnelle », les lieux qui lui sont chers et ont largement alimentés ses romans, en particulier ses deux séries romanesques La Grande patience et Les Colonnes du Ciel qui se déroulent essentiellement dans le Jura. Il nous entraîne dans ses lieux de mémoire pris entre son parcours d’errance et son enracinement jurassien.



Présentation  
Ces terres de mémoire, Bernard Clavel les présente ainsi : « Il m’a fallu naviguer plus d’un demi siècle et traverser bien des pays pour découvrir cette vérité que je suis un déraciné. Déraciné de mon enfance beaucoup plus que de terroirs auxquels j’ai trop longtemps cherché à m’accrocher. Ma patrie c’est partout où il y a des hommes, mais ma province d’élection, celle qui gonfle mon cœur à le faire éclater, c’est le temps disparu. »

Ce titre Terres de mémoire provient d’un poème de Georges Emmanuel Clancier qui commence ainsi :
« C’est toujours le temps de mémoire au pays qui s’endort
Sous les tuiles, les poutres, les pampres, les dalles et l’herbe.
Une pervenche au milieu d’un lierre, une grange au bord des landes
Seules traces de celle autrefois qui m’apporta les clefs du pays
Vieux, creusé de sortilèges, de frayeurs et de légendes. »

Pour lui, les lieux n’ont pas de mémoire et c’est peut-être ainsi que s’explique son éternelle errance  et « il est des soirs où le coureur sait avec certitude que le gibier a souvent raison du chasseur ridicule ». Alors il continue de chercher ce qu’il n’a cessé de chercher, se retrouvant dans cette phrase de Francis Carco : « Aussi vite que l’on aille, le pays de nos rêves demeure inaccessible. »

Sa maison de Château-Chalon Jura

La mémoire nue  
« Ma patrie, c’est mon enfance » écrit Clavel. Et son enfance, c’est la terre, une terre où poussent les fleurs de sa mère fleuriste, où pousse le blé de son père boulanger, la terre spéciale des salines de Lons-le-Saunier ; terre sillonnée de rivières, les petits villages de la vallée de la Sorne où son père livrait le pain. Mais ces paysages ne sont rien sans les personnages qui leur sont liés comme Pablo, futur héros de l’Espagnol, aux vignobles du Revermont ou de Gaston Baissette à l’étang de l’Or vers Montpellier.

Il se souvient des combats imaginaires qu’il menait, que ce soit en vacances au lac de Saint-Point, à Lons chez lui ou à Dole chez sa tante Léa et son oncle militaire, car la guerre fait aussi partie de ses terres de mémoire, le romantisme guerrier dont il s’est peu à peu désintoxiqué. Il applaudit à la disparition de la frontière entre la France et la Suisse quand le Doubs était si gelé qu’on pouvait y marcher en toute sécurité et y faire la fête.  « Car, écrit-il plus loin, les frontières ont fait couler trop de sang pour qu’il nous soit permis de les voir s’enchevêtrer ainsi sans que notre gorge se noue. »

             

Au proverbe « cent métiers, cent misères », il ajoute « cent espérances », car souvent son esprit vogue dans le rêve comme tout enfant dans le jardin de son père. « Notre mémoire est ce que nous possédons de plus précieux et de plus cruel. C’est elle qui constitue notre terre. » Alors, être ici ou là est de peu d’importance et « si la mort me surprend en route… je finirai bien par boucler la boucle. »
Il se dit d’abord homme des villes, même si on le catalogue comme ‘écrivain-paysan’ : Lons, Dole, Lyon ont marqué sa jeunesse et il retourne à Lons avec une certaine appréhension.  Citant Jean-Paul Sartre, il écrit : « Il n’est pas rare qu’on opte pour une vie passionnelle plutôt que  pour une vie raisonnable. » Des villes avec leurs cours d’eau « qui le hantent » et parmi eux, Dole et le Doubs, Lyon et le Rhône, Montréal et le Saint-Laurent. Son rêve c’est de tout voir, tout embrasser d’un continent à l’autre,  faire de « merveilleuses surprises » au hasard d’un voyage. [1]  

          
Clavel dans le Doubs, au saut du Doubs et au Pissoux

Dans les étendues glacées de Saint-Télesphore au Québec où il résida, il est aussi en pays de rêve, sur les traces de Jack London ou de Michel Strogof
On ne peut lire sans émotion ces mots qu’il a tracés en 1981 à propos de son ami Pierre Mac Orlan : « Dans sa maison un peu sombre… il avait enfermé le monde. Il le vivait. Il le revivait. […] Ses terres de mémoire sont dans les chansons admirables qui furent sa dernière croisière. » [2] Reste l’immense création de l’artiste et de l’artisan, autre terre de mémoire, ces « enchaînements d’instants » dont il éprouve le plus de mal à se détacher, sa vie est comme une succession de vagues « épave plus que vaisseau sur les immensités où se perd la mémoire. » car dit Georges Renoy « pour cet homme sans épiderme, la création libère. » Libération d’autant plus nécessaire qu’elle est difficile.



Journalistes et critiques en ont fait ‘un homme à tiroirs’ aux multiples facettes : écrivain populiste, saint laïc, apôtre de la non-violence et antimilitariste, « barde du Rhône et chantre du Jura. » Lui comme écrivain ne veut que faire vivre ses personnages, écrivant avec difficulté, confessant à la fin de Marie bon pain : « Je me suis vidé de mon bouquin. Apaisement. Je me trouve devant un énorme trou noir. » [3] Ce nouveau roman, il l’écrit au Portugal à Pria da Luz où il s’est installé mais il ne s’y plaît pas et fin 1979, revient en France, cherche vainement une maison dans le Jura et s’installe alors à Villers-le-Lac dans le Haut Doubs.

             
En 1956, L'ouvrier de la nuit                     Clavel en 1991 
Clavel-de-nulle-part  
Avec ce dernier roman qu’il termine à cette époque, [4] « jamais, écrit Georges Renoy, il  ne s’est trouvé aussi près de ses véritables Terres de Mémoire. » Terrible confrontation, il écrit un petit texte de présentation, « très douloureux à faire » avoue-t-il. « Comme si, commente l’auteur,  se regardant dans un miroir, Clavel avait découvert Bisontin-la-Vertu. »

Déjà tout enfant, Clavel quittait souvent les chemins de la réalité pour emprunter ceux de l’imaginaire. [5] Lui qui se dira un « déraciné de ma terre et beaucoup plus encore de mon enfance. » Clavel-le-bricoleur, il sait tout faire, aime le travail manuel comme un vrai artisan. Beaucoup de ses copains sont ainsi : l’amitié c’est d’abord ça. Il ressemble à son Jura natal : tour à tour doux et impétueux comme ses rivières, Franc-comtois ou libre-comtois qui refuse les attaches, la haine de la guerre qui a longtemps ravagé le pays, « comtois tête de bois », dit-on aussi. Comme Clavel.

Son irrépressible besoin de s’exprimer, « c’est écrire ou exploser » dit-il, vider le trop plein de son cœur, régler ses comptes avec lui-même. [6] Pour André Richardot, [7] « c’est un homme qui a besoin d’espace. » [8] Comme son héros Bisontin dans Marie Bon Pain, Clavel se veut un homme libre et même ‘chez lui’ à Château-Chalon, il se sent prisonnier. Et Georges Renoy de soupirer : « J’essaye de démêler ses contradictions mais ça ne va pas sans mal. Comment faire le départ entre l’homme qui se fuit et l’homme qui se cherche ? »

                       
Autobiographie         Biographie de Michel Ragon         L'homme Clavel

Partir, larguer les amarres dans l’appel de l’horizon est pour lui un besoin irrépressible, élément essentiel de son « alchimie intérieure. » Il est un homme « de transit »comme Bisontin qui largue tout dans la paix enfin retrouvée pour s’embarquer pour le Nouveau Monde. Pour Clavel, « le Canada c’est à nouveau le vertige de la grande page blanche qu’il va falloir remplir.  C’est recommencer, repartir à zéro. Découvrir, construire, vaincre. » L’expérience  l’a conduit sur le chemin de l’humilité bien que, selon le libraire de Dole, « il existe un style Clavel » que certains trouvent alourdi par de longues descriptions. Ce qui étonne fortement l'écrivain.

            
Son album intitulé L'Hiver                 Un extrait

L’auteur fait sienne cette phrase de Pierre Hamp extraite de Mes Métiers : « Ce bourru gardait secrète une exquise tendresse. » De ces Terres de mémoire, il dit que Clavel « a les pieds dans sa terre natale, son cœur parmi les hommes et la tête partout où les vastes étendues froides dessinent le paysage. »

De La Grande Patience aux Colonnes du ciel, Bernard Clavel passe de l’autobiographie à l’autoportrait qu’il prolonge avec des romans tels que Le Seigneur du fleuve avec Philibert Merlin personnage du passé par son refus de la modernité, son orgueil de mâle mais aussi par ses aspects ‘self-made-man’, homme compétent et révolté avec une énorme volonté de dépassement de soi qui finira par le perdre.
Il se retrouve dans cette phrase de Goethe qu’il a placée en exergue de L’Espagnol : « Le sens de mes écrits comme de ma vie, c’est le triomphe de ce qui est humain ».

            
Quelques-uns de mes articles         Quelques-uns de ses romans

Bibliographie : Les albums de Clavel

  • Célébration du bois, Éditions Robert Morel, 1962
  • Bonlieu ou le Silence des nymphes, dessins de J.-F. Reymond, Éditions H.-R. Dufour, 1973
  • Fleur de sel, les marais salants de Guérande, texte de Bernard Clavel, photos de Paul Morin, Éditions Le Chêne, 1977 et 1985
  • Arbres, par Bernard Clavel et Grégoire Curien, Éditions Berger-Levrault, 1981, réédition 1995, 
  • Terres de mémoire, le Jura, de Bernard Clavel, Georges Renoy, et Jean-Marie Curien, Éditions Jean-Pierre Delarge, 1981
  • Les Vendanges, texte de Bernard Clavel, photos de Janine Niepce, Éditions Hoebeke, 09/2000, 104 pages
  • L'hiver, éditions Nathan, collection Voyages et nature, 10/2003, 192 pages
Bibliographie complémentaires
* ''L’ami Pierre'', photos de Jean-Philippe Joudrin, éditions Duculot, Paris-Gembloux, 1978
* ''La conquête de l’avenir'', L’Humanité en marche, éditions du Burin, 1973
* ''Le boutefeu du Grand Nord'', article paru dans La Croix, mars 1980
* ''Les colonnes du ciel : Marie bon pain'', tome IV, Robert Laffont, 1980

Documentation annexe 
* ''Lons-le-Saunier'', Jacques Prévent et Gilbert Girod
* ''Rhône mon fleuve'', Alexandre Arnoux
* ''Célébration du bois'', Bernard Clavel, gravures de Georges Pons, éditions Robert Morel ? 1962
* ''Le Rhône ou les métamorphoses d’un dieu'', photographies Yves-André David, édition Hachette, 1979

Notes et Références 
[1] Et il cite ces vers de Baudelaire : « les plus riches cités, les plus grands paysages / Jamais ne contenaient l’attrait mystérieux / De ceux que le hasard fait aux nuages. »
[2]  Il écrit aussi : « Sans doute, n’a-t-il jamais interrompu son périple… Alors que nous l’imaginions cloîtré à Saint-Cyr-sur-Morin, il continuait d’habiter le voyage. » Et il a cette réflexion prémonitoire : « Ainsi finirais-je peut-être un jour par passer sans m’en apercevoir, de mon actuelle errance au voyage immobile qui confine à la mort. » 
[3] Lettre de Bernard Clavel à Georges Renoy du 20 juin 1979  
[4] Il termine Marie Bon Pain au Portugal fin 1979 et finit les corrections mi 1980 à Villers-le-Lac dans le haut-Doubs où il vit alors
[5] En 1962, il écrivait dans Célébration du bois : « On a toujours plus ou moins la nostalgie de quelque chose et les odeurs de jadis nous suivent parfois tout au long de notre vie. »  
[6] « Tout ce qui lui traîne sur le cœur, tout ce dont il alourdit sa conscience » ajoute Georges Renoy 
[7] André Richardot est son ancien maître d’école à Lons-le-Saunier 
[8] « C’est un homme qui ne tient pas en place » conclut le libraire de Dole

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