mardi 30 septembre 2014

Le Silence des armes

               
« ... le silence qui accompagne cette fuite de la lumière. » Écrit sur la neige

L'écrivain et romancier Bernard Clavel publie successivement au début des années 1970, Le Silence des armes puis deux autres ouvrages, Lettre à un képi blanc, réponse à ses détracteurs, et Le Massacre des innocents, fruit de son combat en faveur des enfants victimes de la guerre ou de mauvais traitements. Ils vont traduire son engagement dans sa lutte contre la violence, la haine et la guerre, lutte qu'il continuera à mener tout au long de sa vie.

Romancier et pacifiste                         Gandhi lors de "la marche du sel"Image illustrative de l'article Le Silence des armes
Il va ainsi concrétiser dans le domaine de l'écriture son admiration pour des hommes comme Gandhi ou Romain Rolland qu'il citera à de nombreuses reprises et dont le nom revient souvent sous sa plume et ce combat qu'il va mener avec des hommes comme Edmond Kaiser le responsable de Terre des Hommes, le père Lelong, pour sauver les enfants martyrs ou menacés de famine, contre la peine de mort et avec son ami Louis Lecoin aux côtés des objecteurs de conscience, Louis Lecoin à propos de qui il a écrit : « Il portait le monde en son cœur et c’est en regardant au-dedans de lui qu’il en avait la vision la plus sensible, la plus chargée d’affection 1 ».



Dans la période 1970-75, Bernard Clavel poursuit son évolution, lui qui avait tant admiré son oncle capitaine dans les bataillons d’Afrique, vers un pacifisme militant qui le mènera à combattre aux côtés des déshérités et à défendre les objecteurs de conscience.
Sur le plan de l'écriture, son engagement va se traduire par la publication de trois ouvrages :
  • Un roman, Le Silence des armes, dénonçant la guerre d’Algérie, la torture et la 'pacification' musclée, à travers la révolte de Jacques Fortier.
    Dans la période 1970-75, Bernard Clavel poursuit son évolution, lui qui avait tant admiré son oncle capitaine dans les bataillons d’Afrique, vers un pacifisme militant qui le mènera à combattre aux côtés des déshérités et à défendre les objecteurs de conscience.

    Sur le plan de l'écriture, son engagement va se traduire par la publication de trois ouvrages :
  • Un roman, Le Silence des armes, dénonçant la guerre d’Algérie, la torture et la 'pacification' musclée, à travers la révolte de Jacques Fortier, un engagé qui refuse de retourner se battre en Algérie ;
  • La publication de ce roman suscite une vive polémique et une réponse d’un caporal de la Légion étrangère, à laquelle Bernard Clavel répondra lui-même dans un livre intitulé Lettre à un képi blanc ;
  • Sa rencontre à Lausanne avec le responsable de l’organisation humanitaire Terre des Hommes et leurs échanges épistolaires que Bernard Clavel transcrira dans un ouvrage intitulé Le Massacre des innocents.
Chacune de ces trois œuvres reprend comme en écho les thèmes qui y sont développés quand, par exemple dans Lettre à un képi blanc, il lance ce cri repris inlassablement dans Le massacre des innocents : « Mais en ce monde, trop d’enfants sont morts que des hommes ont volontairement privé de cette lumière ».

Ses romans les plus récents sont eux-aussi pleins de cet engagement contre la guerre, de Brutus, un roman paru au début des années 2000, qui se passe à une époque où les Romains persécutaient les chrétiens dans tout l’empire, « Les Romains continuent de tuer, de piller et d’incendier […] Alors partout le sang coule, le sang des innocents", jusqu'à Les Grands Malheurs où il stigmatise le massacre des guerres mondiales du XXe siècle et dénonce l'arme nucléaire ».

             
                                                        Giotto Le massacre des innocents

Jacques Fortier et la guerre d'Algérie

De tous les romans que Bernard Clavel a écrits en dénonçant la violence et la guerre, celui-ci est le plus fort, ayant suscité le plus de réactions. Ses détracteurs ne s'y sont pas trompés qui l'ont attaqué avec véhémence, pugnacité à laquelle l'écrivain a répondu avec une grande sérénité dans sa Lettre à un képi blanc.
Ici s'affrontent deux conceptions, deux attitudes devant la vie : celle des 'va-t-en-guerre' à la Déroulède qui prônent la violence ou lui cèdent par faiblesse, celle de ceux qui refusent le recours à toute forme de violence, Romain Rolland et Jean Giono qu'il cite dans son livre ou son ami le pacifiste Louis Lecoin auquel il rend hommage et à qui il dédie son roman.

La mémoire du caporal Jacques Fortier se fige dans les images insoutenables qui le submergent inopinément, quand « un commando... débusquant à coups de bottes et de crosses les habitants. » Son village jurassien lui rappelle « ces villages algériens dont il ne restait sous le soleil que quelques pans de murs noircis. Des ruines. Des ruines recouvrant parfois des cadavres de bêtes, d'hommes, des femmes ou d'enfants. » Las-bas, « un vent fou attisait les incendies, soufflant des villages entiers sur des enfants innocents. » Tous ces enfants dont il évoquera le calvaire dans Le Massacre des innocents. Des images d'une sauvagerie telle que Jacques ne peut se pardonner son aveuglement.

              
Chateau-Chalon où se passe le roman       Reculée de Beaume-les-Messieurs

Ce roman est traversé de lourds silences qui le parcourent, qui donnent toute leur ampleur au vent et à la pluie, à la fureur des éléments qui vaut bien celle des hommes. Au silence des armes répond d'autres silences qui marquent le temps dans ce village du Revermont jurassien près de Lons-le-Saunier, selon les saisons, « ici, c'était toujours le calme et le silence » quand « il y eut un long moment de ce silence tout vivant des mille cris de la terre et du village » avec des pauses troublantes quand « la reculée invisible grondait sourdement avec par intervalles, des silences oppressants. »

Densité du silence quand la voix de sa mère « résonne dans le silence de la cuisine » ou silence ténu, celui de « la respiration des choses endormies. » Jacques se souvenait que « la mémoire des vivants est une plaque sensible », des colères de son père qui voulait « imposer silence aux imbéciles », d'un silence si chargé de secrets.

En tout cas, « entre son orgueil et celui de son père, le silence s'était installé. » Le silence s’oppose ainsi au fracas des armes dominé par cette question obsédante : « Était-il donc nécessaire que chaque génération connût sa guerre pour que les hommes en sentent l’absurdité ? »

           
Image de la guerre d'Algérie en 1960           Gardes mobiles


Résumé et contenu
Après un séjour en Algérie et quelques séquelles de la guerre qui s’y déroule, le caporal Jacques Fortier revient chez lui, dans son Jura natal, pour passer quelques semaines de convalescence. C’est l’enfant prodigue qui revient, celui qui a laissé ses parents, sa terre, et pour cette raison dans le village, on lui en veut, peu semble avoir approuvé son engagement.

Maintenant, tout est à l’abandon, la maison et les vignes, sa mère est morte pendant qu’il était 'là-bas', il se retrouve seul, juste avec son ami Désiré Jaillet et sa femme Yvonne, avec cette maison qu’il a vendue mais dont il ne parvient pas à se détacher. Ce qui le porte, ici, dans le jardin qu’il essarte, arrache les ronciers qui le rongent, dans la maison qu’il aère, dans le souffle du vent qui s’engouffre dans la reculée de 'La Pionnerie', c’est le souvenir de ce père pour qui toute vie était sacrée, même celle d’un petit oiseau comme le traqueur rieur, ce père dont lui, le fils, s’est engagé dans l’armée.
En haut du village sur le plateau, « il retrouvait sa terre. Il en avait conscience… il se sentait fort et lucide comme il ne l’avait jamais été. Aujourd’hui, il était devenu un autre homme. » Jacques nettoyait les extérieurs avec rage et les paroles de son père résonnaient encore dans sa tête quand il disait à son valet : « Ne tue rien. C’est ce qui fait l’équilibre. La terre est vivante, laisse-la vivre, nom de Dieu ! » Mais parfois, surtout sur ces hauteurs, le vent se déchaîne, « à deux reprises, des courants ascendants creusèrent une tranchée aux parois mouvantes… »



Après cette embellie, vint la douche froide, l’hébétude : le notaire avait tout vendu, la maison, les terres, les militaires, les morts de la guerre d’Algérie, tous le pourchassaient sur le plateau balayé par une pluie tenace. En Algérie, il a eu peur, constamment, « peur de la nuit, du grand soleil, peur en convoi, peur en patrouille […] Et ce matin… il se sent soudain libéré de sa peur. De toutes les peurs. »

Il s’est barricadé chez lui, avec ce 'chien rouge' qui le suit partout, décidé à rester là, à ne plus faire la guerre, tour à tour apaisé par les paroles du curé et de plus en plus énervé par les détonations des tirs au pigeon d’argile qui s’élèvent jusque chez lui. Dans l’après-midi, n’y tenant plus, il ressort les armes de son oncle Émile, le militaire de la coloniale, et tire sur les tireurs qui, pris de panique, s’enfuient dans la campagne.

  Sa maison de Château-Chalon

Maintenant, Jacques est seul dans sa maison, barricadé avec ses armes, assiégé par des gendarmes. Il n’a aucune revendication à formuler, rien qu’un immense cri de haine contre la violence et la guerre, l’immense poids à porter de ce passé qui l’étreint. Ils sont tous là à le guetter avec leurs armes mais il le sait, il ira jusqu’au bout. Dans l’esprit de Jacques, tout se mêle, les gendarmes qui le poursuivent et lui tirent dessus, l’Algérie et les embuscades, « il allait du même pas que le cortège des morts. »
Pas plus que le troupeau de jadis dans l’histoire que lui contait son père, il ne se résolut à fuir par le petit chemin de la 'Fontaine aux Daims' et c’est ici dans l’épaisseur de la forêt qu’enfin il rejoignit son père. C’était sa victoire, « ce printemps de douceur plus fort que les saisons de violence et de meurtre. »

      << Christian Broussas - Silence des armes - Feyzin, 10/12/2009 - © • cjb • © >>


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